dimanche 6 mai 2012

Exactitude et certitude


Plus s'éloigne l'illusion d'exactitude, plus s'impose une évidente vérité.

A force de chercher à être clairement compris, à être logique et raisonnable, je perds de vue le principal. Comme si je m'efforçais à détailler chaque pierre à la loupe pour décrire une montagne. La quête d'exhaustivité objective est pure perte.

La poésie s'impose comme l'expression la plus authentique et proche du reflet de son être. A une époque où on l'on se complaît à scientifiser tous les aspects de l'existence il est sain d'employer des méthodes d'expression similaires destinées à se faire comprendre de tous. Trop de manières et d'argumentation pour convaincre et se protéger, au détriment de la densité informationnelle. "Viens-en au fait" me dis-je souvent en lecture d'articles qui s'étalent en conjectures laborieuses. Il appartient à chaque lecteur de juger de l'intérêt d'un contenu quelque soit sa forme.
Je me surprends aujourd'hui à lire en diagonale en partant de la fin pour remonter en début de texte, alors qu'autrefois je lisais tout dans les détails, de façon linéaire. Je me fie à mon seul jugement pour intégrer à ma conception subjective du monde des éléments pris au hasard de mon attention. Par mes propres tentatives d'écriture et retours de lecture, j'ai réalisé que chacun déformait le contenu des textes, quelqu'en soit la teneur "objective". Chacun ingère et digère différemment les informations partagées, selon ses besoins. Tels des oisillons on apprend à ingérer des aliments prémâchés par nos parents jusqu'au jour de notre émancipation où l'on est capable d'intégrer l'extérieur en toute autonomie.


La quête triviale et ludique du génie tranquille

La science se veut un antidote à la religion par la force de la démonstration, de l'exhaustivité, et de l'exactitude. Elle est nécessaire à une base de compréhension logique et commune, un système de croyances soumises à une objectivité partielle. Partielle parce qu'on ne prend en compte que les éléments dont on a connaissance. Prendre en compte des facteurs inconnus et estimer leur importance sur un phénomène global est possible, mais c'est souvent sous-estimer l'importance des interactions mis en oeuvre dans des ensembles dépassant notre entendement. Plus la science progresse, plus elle devient magique, et plus elle tend vers la conception d'une réalité qui va au-delà de notre seule perception physique. On détaille la mécanique corporelle et on en vient à toucher l'évidence de la psychologie sur la bonne marche de l'ensemble. Electronique et mécanique. Il manque encore quelque chose pour différencier l'homme et la voiture. D'ailleurs la voiture fonctionne très bien sans électronique. "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" paraît-il. La science devient la religion favorite des athées.


Plus on progresse en savoir plus on s'interroge sur les pratiques chamaniques dénuées de savoir scientifique. Comment se fait-il que certains parviennent à avoir de meilleurs résultats que notre chère médecine empirique ?
Ces chamans ne cherchent pas à être exacts et savants, ils cherchent l'authenticité, le coeur de leur patient, le coeur de l'existence, le coeur de la vie, le coeur du monde.
Au-delà d'un savoir pharmacologique pratique, similaire à celui de la médecine, ils travaillent l'imaginaire et l'empathie. Ils créent une expérience mystique capable d'imager un mal devenu invisible et envahissant. Ils créent une illusion thérapeutique, ils créent un rêve. Ou plutôt ils suggèrent un rêve chez le patient qui lui donnera le sens nécessaire à sa réorganisation psychique. Le travail du chaman est essentiellement symbolique et associé à sa culture.


Dans World of Warcraft je me spécialise plutôt en chaman amélio.

Nos chamans médicalisés se reposent sur la science, comme les marabouts sur la crédulité. Prends tes pilules et fais le rituel comme indiqué. La plupart de nos maux sont d'origine psychosomatique et résoudre un effet n'est pas résoudre la cause. Un blocage est comme une retenue d'eau. On peut colmater une fuite mais l'eau doit s'évacuer tôt ou tard. Il faut rétablir le flux.

La norme scientifique rationnelle tend-elle à brider l'expression thérapeutique ? Le sens de la vie se limiterait-il à un sens pratique où l'individu se résume à une productivité de bon aloi ?
L'absurdité nous retient. Pourquoi faire quelque chose que l'on ne comprend pas et qui n'a donc pas de sens ?
Personnellement j'ai fait des actes que je ne comprenais pas et appris des années plus tard leur intérêt thérapeutique.
Le chien comprend-il à quoi lui sert son odorat ? Pourquoi l'homme cherche-t-il à démonter pierre par pierre la terre sous ses pieds pour définir l'évidence d'une montagne ?
Nous possédons tous une connaissance innée de notre nature et nous l'oublions dans des illusions destinées à esquiver nos angoisses mortelles. A sécuriser constamment nos existences nous abandonnons notre liberté.


Non, je ne l'ai pas vu.

Nous préférons le nid douillet nourri par nos institutions, jusqu'au jour où nous réaliserons que nous ne pouvons plus nous envoler, que ceux qui nous nourrissent ne sont pas nos parents et nous retiennent contre notre gré, et que la terre entière est couverte de nids hideux d'où s'échappent les râles d'une infinité de poules obèses. Pondre ou mourir.

Mieux vaut-il prêcher pour un incrédule ou affirmer la foi du croyant ? Les deux probablement.

On ne perd pas la foi, on la nie. On ne perd pas l'espoir, on le rationalise.
Je perds de vue régulièrement ma foi devant l'angoisse. La certitude laisse place au doute, à l'absence d'exactitude. Je n'ai pas d'éléments tangibles pour me rassurer. Je me confronte aux murs de ma cellule. La sagesse me quitte devant l'urgence de ma condition. Agir sans pouvoir agir, s'envoler sans pouvoir étendre ses ailes.

Intuition, spontanéité, imagination, authenticité, foi.

Enfant, je testais avec des cartes des tours de magie devant mon père. Mes piètres subterfuges ne l'impressionnaient guère. J'ai alors renoncé à faire un tour et lui ai annoncé le plus grand tour de magie qu'il n'aie jamais vu. Malgré son air dubitatif je lui demande de tirer une carte, de la regarder, et de la remettre dans le paquet. Je mélange, je lui demande de mélanger, je remélange, je coupe, et je tire la première carte que je lui montre sans regarder moi-même en lui annonçant que c'est sa carte. Son visage se trouble et il me demande comment j'ai fait.

 

Sur le moment je pense qu'il se moque de moi mais il m'assure que c'est sa carte. Il constate que ce n'est "que" le fruit du hasard et s'en trouve déçu. Durant le tour je croyais sincèrement à ce que j'annonçais. Ca ne pouvait être pire qu'avant. Et malgré mon succès, il était déçu. Déçu que je n'ai à lui montrer que le plus incroyable des tours, et pas une séance de prestidigitation géniale.

- Deux autres anecdotes intéressantes :

* Je dépose ma mère à une pharmacie et attend 25 minutes dans la voiture. Le temps passant je pense à la rejoindre pour savoir de quoi il retourne. Je réfléchis à dire une bêtise "Ca y est, tu as tes 120 euros de poudre miraculeuse ?". Je me dis qu'elle serait bien capable d'atteindre cette somme avec les médicaments de la grand-mère, et même davantage. Pourtant je me demande pourquoi le chiffre de 120 euros m'est venu à l'esprit. J'attends encore 10 minutes et la rejoins. J'abandonne l'idée du sarcasme mais jette un oeil à la facture : 120,50 euros...

* Dans la soirée je rentre chez moi et m'interroge sur cette histoire de 120 euros et de la manière de les anticiper. Quelle tournure d'esprit avais-je ? Je compare ça à un autre sentiment de prémonition que j'avais eu sur l'autoroute. Comme Spiderman j'avais anticipé le danger en la présence d'un radar mobile mais la raison m'avait poussé à ne pas m'y fier. Serais-je capable de développer ce talent ? Comment différencier de façon sûre mes angoisses continues de me faire flasher à n'importe quel moment d'inattention, et la véritable prémonition ? Serait-ce une question de certitude ?
Je me centre sur mes sensations et l'idée du flash. Je ne ressens qu'une stérile angoisse latente. La raison me dit qu'il est tard et que je n'ai jamais croisé de radar mobile sur cet axe autoroutier en plusieurs années. 5 minutes plus tard j'ai une forme de certitude sur un danger imminent, différente de l'angoisse latente. Je commence à ralentir avec la modération de la raison qui me répète que je freine inutilement prêt d'une haie touffue, et paf, flash !

Dépasser les contraintes sociales et avoir foi en soi est si facile...ou pas. La quête de soi et de son authenticité. Répondre à ce que j'attends de moi et non pas à ce qu'on attend de moi. On m'y pousse vigoureusement. Les signes s'enchaînent en une spirale troublante, même si j'ai encore le cul entre deux chaises, mal à l'aise, indécis quant à quelle direction prendre. J'ai la certitude d'en être là où je dois être, au bon endroit et au bon moment, sans avoir l'exactitude d'une localisation GPS au milieu d'un désert.

Il faut avancer à la seule raison d'un espoir vital.


Même Sophie Marceau a sa certitude

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