Une couverture qui en jette !
"L'Apocalypse d'Arkahn" est enfin disponible chez Terriciaë. C'est un premier roman contant la chute d'un Empire galactique né il y a 220 000 ans. Le jeune Arkahn participe aux tenants et aboutissants de cette chute, en quittant la colonie terrienne d'Atlantis, 20 000 ans avant notre ère. Cette Humanité antédiluvienne doit composer avec les conséquences d'une histoire oubliée depuis la nuit des temps. Voici venu le temps de l'Apocalypse !
Disponible en commande sur Amazon et consors :
Je vous en propose la lecture du prologue :
La fin. Un magicien sans rêve dans une ultime représentation. L’amphithéâtre était aussi sombre que le cœur de l’homme qui en foulait les dalles dures et froides. Une inscription rayonnante faisait office d’étoile isolée dans des ténèbres sculpturales le long d’une impressionnante coupole. Elle était la prophétie improvisée d’un illustre renégat. Écrite dans une langue magique ancienne elle délivrait un message unique à chaque personne capable de la déchiffrer. Il en était capable, lui Oraguur le grand She Valieh Tori archibicaïniste maître de la Guilde Triaglonique. Après lecture, la première chose qui lui vînt à l’esprit fut d’invoquer une cigarette prête à fumer dont la toxicité apportait un plaisir suave. Il consumait volontairement une partie de sa vie en une douce lueur qui dévoilait impudiquement son inéluctable fin.
Le
fugitif voulait donc apposer une prophétie indélébile que tous les
responsables impériaux seraient obligés de voir, et en premier lieu
l’Empereur. Infiltrer le cœur du palais impérial juste pour cela
était intriguant. Le fugitif était là, tapi dans l’ombre, à
observer sa moindre réaction. Acteur et spectateur immobiles. Aucun
d’eux ne souhaite rompre ce fragile état de grâce d’une parole
malheureuse. L’Empereur avait ordonné à l’archibicaïniste
d’effacer toute trace de cet homme. Hélas, il ne pourrait effacer
cette inscription. La pierre du palais était inaltérable. Pourtant
cet homme avait réussi ce miracle. Voilà comment il avait réussi à
lui échapper jusqu’à maintenant, en enchaînant les miracles.
Oraguur était le plus grand archibicaïniste de l’Empire et un
homme résistait à ses tours prodigieux par des miracles
imprévisibles. Il était temps que cela cesse. Mais pour qui ? La
prophétie le déstabilisait par sa justesse. Elle mettait en lumière
ses doutes les plus inavouables quant à l’action juste et l’avenir
de l’humanité. Ses ambitions s'annonçaient condamnées à
l’échec de son vivant.
Le
fugitif avait fait sombrer la galaxie impériale dans l’horreur et
l’Empereur avait aujourd’hui l’occasion de tout remettre en
ordre avec son
aide. Pourtant l’avenir était sujet à caution malgré l’espoir
concret d’une sortie des ténèbres. Son expérience séculaire
l’affirmait.
La
cigarette arrivait à sa fin. Le grand sorcier la jeta à ses pieds
et l’écrasa pour l’éteindre. Le fugitif avait été son ami. Il
avait été aussi empereur. Mais ses crimes étaient impardonnables,
quelles qu’en soient les raisons. Tous les citoyens impériaux
avaient été personnellement touchés par les tragédies innommables
engendrées par cet homme, sans compter les chiffres astronomiques
des pertes humaines. Toute la galaxie était à feu et à sang.
— La virtuosité de cette prophétie est ton ultime chef-d’œuvre ? demanda Oraguur.
— La virtuosité de cette prophétie est ton ultime chef-d’œuvre ? demanda Oraguur.
—
Elle
te fait voir ce que tu ne veux écouter, répondit l’homme
dissimulé dans l’ombre.
— Me
faire renoncer à ma mission est un miracle hors de ta portée.
—
Quelle
mission ? Je te suggère ta véritable quête.
— Et
quelle est-elle ?
— À
toi de me le dire.
—
Une
quête sans fin de pouvoir qui doit nous inciter à nous entre-tuer
irrémédiablement comme de vulgaires bêtes ?
—
Quête
de contrôle plutôt. Tu as peur, comme tous les citoyens de
l’Empire. L’Empire entretient cette peur qui vous limite et vous
asservit.
— Tu
as de drôles de manières de nous en libérer.
Un
faisceau vertical de lumière inonda le centre de l’amphithéâtre
imposant. Il menait directement au trône plus haut. Un vieil homme
courbé, en robe princière et au visage décharné, se leva
difficilement de son siège. Il regarda incrédule la prophétie qui
brillait de mille feux au-dessus de sa tête.
—
C’était
donc ça, souffla-t-il d’une voix rauque.
—
Empereur
Egor Milliontis, vous ne devriez pas vous mettre en danger ainsi.
—
Silence
maître de guilde ! Kay Kaïnan, montre-toi !
Le
fugitif sortit de l’ombre. Une aura écrasante se dégageait de lui
malgré de sobres atours. Son regard trahissait une conviction
inébranlable forgée à travers les siècles d’actes sans retour.
— Le
Kay... continua l’Empereur. Tu m’as joué un bien vilain tour.
—
Nécessaire,
hélas, Egor.
Le
dénommé Kay Kaïnan fit apparaître dans ses mains une tablette
dorée.
—
Egor,
tu connais les raisons de mes agissements. Cette pierre porte le
contrat divin d’alliance que doivent respecter nos incarnations.
— Et
alors ? soupira Oraguur. Je te félicite d’avoir déniché cette
relique légendaire, mais en quoi nous concerne-t-elle ?
Le
Kay la jeta violemment à ses pieds où elle se brisa dans un
tonnerre aveuglant.
— Je
romps le contrat et me libère de mes engagements. C’en est fini.
Oraguur, tu vas mourir.
—
Cette
misérable tablette t’obligeait à nous infliger toutes ces
horreurs ? Ta folie n’a aucune limite.
—
Non,
Oraguur. Au contraire, elle m’empêchait de poursuivre mes
desseins. Tu t’accroches à une illusion de toute-puissance qui
n’aura d’effet que de nous précipiter dans le néant.
— Et
que crois-tu faire ? J’ai réuni ici tous les atouts pour te mettre
hors d’état de nuire. Tu inverses les rôles. Ton terrorisme
abominable est terminé.
Les
ténèbres s’agitèrent autour d’eux. L’Empereur Egor tremblait
et suait à grosses gouttes :
—
Oraguur,
murmura-t-il. Le Kay a raison. L’Empire est contrôlé par la peur.
Il a partagé son pouvoir avec son plus haut dignitaire, moi
l’Empereur Egor Milliontis. Et je l’ai partagé malgré moi au
peuple. Il nous est possible de matérialiser des choses indicibles,
des sentiments primaires qui habituellement nous échappent, des
rêves ou des cauchemars que l’on préférerait garder dans
l’oubli de nos nuits agitées. Le prix de son obtention a été le
meurtre d’un innocent qui ignorait l’importance de son legs, une
jeune oracle aveugle au cœur pur à qui le Kay avait confié son
pouvoir obscur dans l’espoir d’un avenir meilleur. Elle m’a
montré à ses dépends les prodiges qu’elle était alors capable
de produire. J’ai mal jaugé la teneur de ce pouvoir et les moyens
de l’exprimer. L’horreur de mon acte et ma culpabilité se sont
matérialisées petit à petit dans le palais par diverses
manifestations psykinétiques avant de se transmettre à tous les
citoyens de l’Empire. Tous se sont fait dévorer par leurs peurs
croissantes qui prenaient forme. Les bêtes de cauchemar
sillonnant l’Empire sont ses citoyens et mes enfants. Oraguur, tu
m’as préservé de mes propres horreurs jusqu’à maintenant, mais
aujourd’hui mon ultime gardien doit disparaître afin que je
rejoigne mon peuple dans sa parfaite abomination. Tes immenses
pouvoirs ne peuvent te préserver à jamais de tes peurs les plus
profondes. Rejoins-nous. Livre-toi à l’Empire. Je te l’ordonne !
—
L’illusion
qui aliénait la galaxie à un futur sans avenir est brisée Oraguur,
dit tristement le Kay. Écoute ton cœur et choisis ta fin.
L’Empereur
gémit de douleur puis de soulagement. Il laissait enfin aller les
tourments qui le rongeaient depuis si longtemps. Dans un hurlement
inhumain, sa peau se liquéfia jusqu’à découvrir ses os. Des
mandibules géantes claquèrent dans son dos. Une masse colossale
émergeait. D’autres présences inquiétantes prenaient place dans
l’obscurité de l’amphithéâtre.
—
Oraguur,
appela le Kay. Tes pouvoirs nourrissent la peur de l’Empereur et
celle de son peuple. Seul ton sacrifice calmera leur voracité.
—
Absurde
! Ils n’ont qu’à te dévorer toi. Tu es l’être le plus haï
de la galaxie.
— Et
le plus aimé à une autre époque. Je n’ai jamais employé la
violence pour soumettre mes principes au peuple, contrairement à
toi sous couvert de protéger l’intégrité de l’Empire. Le
système te rejette.
—
Pourquoi
l’aides-tu ?
— Tu
étais près de découvrir la vraie nature de l’Empire et tu aurais
cherché à le détruire avec les pouvoirs qui sont les tiens. Mais
cela n’aurait rien changé pour le peuple qui baigne dans ses
illusions impérialistes. Ils doivent le détruire de leur propre
chef en toute connaissance de cause. Ton ingérence personnelle
devenait problématique. Je préfère te devancer et m’assurer
de...
—
Pourquoi
t’écouterais-je ? Tu cherches à me déstabiliser. Ta prophétie
ingénieuse ne me trompera pas.
— Et
si je te disais que l’Empereur Egor Milliontis reste en fonction,
malgré ses erreurs et sa monstruosité, afin de te garder sous la
coupe de l’Empire, pour ensuite te piéger dans ses serres
machiavéliques. La souffrance de tout un peuple ne sert qu'à
freiner ton ascension fulgurante et empêcher l’effondrement d’un
Empire qui possède sa volonté propre
et ses intérêts spécifiques. J’ai aidé le fondateur de
l’Empire, le faux prophète Carion, régent caché de cette
mascarade impériale. Puis j’ai trouvé et brisé la tablette
d’alliance afin de conserver mon libre arbitre... Tu sais que nous
partageons une essence commune, toi, moi et d’autres, elle est
destinée à nous libérer de cette prison dimensionnelle. J’ai
longuement réfléchi et je refuse d’accéder à cette liberté au
détriment de l’humanité. Dans des incarnations précédentes,
nous avons conclu un pacte sur cette tablette, car nous savions que
nous aurions besoin de plusieurs vies pour atteindre notre objectif.
Nos confrontations passées nous avaient amenés à des échecs
cuisants. Il fallait un pacte assurant l’ascension de l’un
d’entre nous avec le soutien de l’ensemble des partis.
—
Très
bien. Je peux donc maintenant t’anéantir, raisonner l’Empereur,
et réfléchir ensuite dans le calme à toutes ces nouvelles
informations.
Le
Kay rit :
— Tu
es le plus beau monstre dont notre pacte a accouché. Je t’ai servi
de tremplin dans notre course au pouvoir, et les autres t’ont
soutenu jusqu’aux plus hauts sommets de la connaissance humaine.
Tu es au-dessus de tout et pourtant tu n’as rien appris. Ta
réalisation est un échec à mes yeux.
—
Qu’est-ce
qui te donne le droit de me juger ? Tu es seul et exilé. Tous
croient en moi. Tu craches sur l’espoir que je représente. Quoi
qu’il en soit, tu n’as aucun moyen de me soumettre à tes
desiderata abscons.
— Tu
es aussi hermétique que ces murs... Vois mon inscription rayonnante
! Sa présence est impossible, non ? Tu ne mérites pas la foi qu’on
met en toi, car tu n’as pas la foi ! Tu dois être brisé et
remodelé en fines poussières fertiles. Tu réfléchiras la lumière
au lieu de la masquer !
Le
corps du Kay se mit à briller intensément avant d’exploser en
particules chatoyantes. Oraguur était seul face à l’Empereur et
ses monstres affamés.
Le
sol dallé devint mouvant et glissant. Quelque chose suintait du
plafond en abondance. L’amphithéâtre devenait la gueule écumante
d’une bête. Des choses hideuses se ruèrent sur Oraguur pensif.
Une barrière
invisible les maintenait dans l’ombre malgré les cris terribles de
leurs protestations.
— Tu
ne pourras pas... les ignorer longtemps, susurra l’Empereur
squelettique d’une voix désincarnée.
Leur
rage, leur force et leur nombre croissaient de seconde en seconde.
Une cacophonie infernale cernait Oraguur. L’Empereur cadavérique
avança pas à pas dans sa direction.
— Je
sens... une pointe d’inquiétude... percer ta carapace
orgueilleuse. Tu me sais... sans limites... dans mon palais.
L’esprit
surentraîné du bicaïniste analysait à grande vitesse tous les
paramètres vitaux de la situation. Oraguur prit la fuite en un
éclair. Le rire sardonique de ce qu’était censé être Egor
Milliontis le suivit dans les méandres labyrinthiques et souterrains
du palais. Les espaces innombrables dont les fondations
constituaient le cœur de la planète géante Sanctis, capitale de
l’Empire galactique, défilaient à une allure ahurissante. Il
était prisonnier d’un Empereur fou, pourtant élu par un système
millénaire qui semblait se dérober inexorablement au fil des
dernières générations.
L’Empire
était né après un événement cosmique aux origines obscures,
connu sous le nom de Jour de l’Oubli. Daté de quatre-vingt mille
ans celui-ci marquait la reprise de conscience des êtres doués de
raison. De manière subite, tous les peuples de la Galaxie Originelle
ou Impériale se retrouvèrent allongés sur le sol, amnésiques et
ignorants, ouvrant les yeux sur des mondes dévastés, à l’état
sauvage. Aucun ne put se remémorer les événements passés ou
antérieurs à leur réveil. Il fallut apprendre un nouveau langage
et les connaissances de base. La conquête spatiale permit le
rapprochement des peuples. On découvrit que tous n’avaient pas un
patrimoine génétique commun. Hors mutations dues à l’adaptation
naturelle aux environnements parfois extrêmes dans leur diversité
ou originalité, les gènes souches semblaient avoir été changé
quelques millénaires avant le le Jour de l’Oubli. Ils avaient subi
une sorte de dégénérescence moléculaire subite. Leur stabilité
en sortait affaiblie et offrait une prédisposition à une mutation
rapide. Un seul peuple conservait une stabilité moléculaire
supérieure aux autres, les Danciens. D’après les études
effectuées au niveau nucléique, leur sang intégrait des particules
infimes d'une variante des cristaux d’esprit.
Ceux-ci
étaient une ressource rare. Ils servaient à amplifier les capacités
psychiques de tout être pensant. Filtrant les pensées parasites ils
permettaient à l’esprit de se focaliser sur une action
particulière. S’exprimer distinctement, même face à face, par
télépathie, demandait un effort important à un esprit simple en
proie aux afflux d’hormones et aux sollicitations extérieures. Les
cristaux compensaient ces faiblesses. Un seul cristal d’esprit
était remis à chaque enfant pour la vie. C’était un gage de
cohésion sociale dans un monde complexe où la médiocrité n’avait
pas sa place. Chacun devait apporter le meilleur de lui-même à tout
instant d’activité.
Les
autres peuples en possédaient d’autres, eux-mêmes divisées en
sous-branches. Cette constatation provoqua un conflit majeur envers
la minorité Dancienne. C’était supposer l’impureté des
non-Danciens et l’acceptation d’une ségrégation raciale. Au
bord d’une guerre catastrophique, un prophète mystérieux nommé
Carion déclara que les réponses viendraient des ruines du passé
et de la mythologie, et non pas des recherches présentes où le sens
des secrets révélés n’était pas celui qu’on leur prêtait.
Carion prétendit savoir déchiffrer les écrits des Anciens
antérieurs au Jour de l’Oubli, mais n’accepta de transmettre ses
connaissances qu’à un nombre réduit d’initiés. Des
représentants choisis avec soin par chaque peuple se présentèrent
à lui. Au bout de quelques milliers d’années d’études à
travers la galaxie en compagnie de Carion, ces représentants,
semblait-il immunisés des affres du temps, affirmèrent unanimes que
la raison de ces différences était que l’absence d’évolution
des Danciens faisait d’eux les gardiens de secrets terribles qui
confirmaient la nécessité du Jour de l’Oubli. Cette stabilité
moléculaire était un fardeau que devaient respecter tous les
peuples. Les Danciens seraient dorénavant les guides du peuple
humain. Le choc de cette déclaration fut calmé par le statut sacré
des représentants des peuples. Personne ne pouvait mettre en doute
leurs propos et la justesse de leurs décisions. Ils déclarèrent la
création d’un Empire commun à l’ensemble des peuples sous
l’égide des Danciens.
À
cette fin, Carion organisa une formidable assemblée sur la planète
des Premiers Éveillés du Jour de l’Oubli au pied de l’immense
palais Sanctis, vestige intact et majestueux de l’ère précédente.
Il décréta ce lieu comme capitale du nouvel Empire, Sanctis la
planète impériale. En compagnie
des représentants des peuples, il descendit dans des tréfonds du
palais jusqu’aux vastes entrailles labyrinthiques de la planète,
dans des galeries antiques couvertes de runes sacrées. Atteignant la
dernière pièce du palais, ils découvrirent une large sphère bleue
lumineuse. Au prix de grands efforts, ils la remontèrent à la
surface à mains nues. Devant la foule ébahie qui les avait
attendus trois mois durant, Carion exposa la sphère à l’entrée
et proclama :
—
Voici
la Sphère de Jugement ! Par son contact elle lève les doutes et
révèle le destin des élus. Aucun peuple n’est supérieur à un
autre. Tous sont libres de leur destin... sauf les Danciens qui ont
le leur scellé. Que quiconque désire toucher la sphère puisse le
faire.
Carion
rentra dans le palais et disparut à jamais.
La
foule se massa alors autour de la sphère, chacun la touchait avec
l’espoir d’une révélation. Les mois passèrent, un flot
intarissable se déversant sur le palais. Impassibles, les
représentants des peuples contemplaient cette marée humaine et
scrutaient intrigués la surface mouvante de la sphère. L’un
d’eux, en retrait depuis leur retour à la surface, osa s’en
approcher de nouveau. C’était Tanec, le plus juste et bon des
représentants des peuples, qui la toucha. Son visage rayonna et fut
marqué d’une rune en forme de croissant de lune ouvragé au
front. Transcendé, il dit d’une voix si puissante qu’elle fut
entendue partout dans le palais, comme amplifiée et véhiculée par
les murs blancs :
— Je
suis Tanec le nouvel Empereur !
Stupéfaits,
les représentants des peuples et la foule murmurèrent
d’appréhension.
—
J’accomplirai
mon destin comme il se doit en mon âme et conscience. Que les
sceptiques touchent à leur tour la sphère.
À
partir de ce jour, tous les peuples se rangèrent sous l’autorité
des empereurs élus par la Sphère de Jugement. Leur règne était
toujours facteur de justice et d’équité. Des périodes de
troubles subsistaient lors d’absence d’élus et certains
n’acceptaient pas que leur destin puisse être régi par une sphère
mystérieuse. Malgré la présence des élus, les conflits se
multipliaient au sein de la nation. Le nombre des instables
croissait de manière inquiétante. Les instables étaient des
individus au comportement psychique anormal. Atteints de
déséquilibres à la naissance ou
durant leur vie, ils devenaient la proie de pulsions ou de troubles
majeurs sans raison apparente.
Un
des élus fut victime de ce mal. Les Danciens se croyaient à l’écart
du problème. Ils constituaient la majorité des élus. Ce dernier
refusa la fatalité et fut déchu de son titre après qu’il ait
trompé ses proches en masquant la disparition de sa marque d’élu
durant quelques années. Il partit en quête des savoirs oubliés.
Son pouvoir grandit au fil des siècles en dehors de toute mesure.
Sa
soif d’apprendre engendra des fléaux inouïs. Il en vint à la
conclusion que le genre humain issu du Jour de l’Oubli ne pouvait
apporter que mort et destruction, qu’il était soumis à un mal
incurable. Pour preuve, il provoqua la mutation de millions
d’innocents en créatures hideuses assoiffées de sang. La guerre
fit rage de nombreux siècles. Cet élu se nommait le Kay Kaïnan...
Le
prophète Carion était responsable de l’Empire. Oraguur devait le
trouver avant d’agir. Le Kay lui avait dit qu’il était proche
d’une vérité qui le pousserait à détruire l’Empire qu’il
protégeait. Il n’était pas trop tard pour la découvrir, mais il
sentait un piège. Le Kay avait soigneusement choisi les
informations à lui transmettre. En prenant de court Oraguur, il
avait les cartes en main et anticipait aisément ses actions. Oraguur
hésita et arrêta sa course dans une caverne monumentale. Des éclats
bruts d’énergie très dense dérivaient en de lents ballets
colorés fantasmagoriques au cœur de cette majestueuse géode
cristalline. Elle était un lieu de réunion secret pour des rituels
importants.
Des
silhouettes se détachèrent de l’espace cristallin aux arabesques
hypnotiques. Une femme se jeta aux pieds d’Oraguur.
—
Maître
! Que comptez-vous faire ?
—
Ayoris...
Relevez-vous.
Une
beauté farouche aux grandes boucles de jade noir le fixait d’un
regard ardent de dévotion. Une tenue ample et raffinée laissait
entrevoir au travers de coupes franches et audacieuses des galbes
suggestifs au charme ravageur. Une quantité de symboles ésotériques
couvrait sa peau délicate à l’exception de son visage et de ses
mains. D’autres personnages remarquables lui emboîtèrent le pas
et constituèrent une foule organisée et disciplinée.
—
Tous
les fidèles de la guilde sont présents, dit la voix grave d’un
géant dont la carrure contrastait avec l’élégance svelte de ses
pairs. Hormis Ryleh, tous les She Valieh Tori et nombre
d’archibicaïnistes sont ici. La confrérie des Messagers de l’Aube
est à vos ordres, maître Oraguur.
—
Est-ce
que vous réalisez à quoi vous engage votre présence à mes côtés
en ces heures confuses ?
—
Oui
! répondirent-ils tous en cœur d’une belle résonance qui
perturba les flux vibratoires des énergies en équilibre de la
caverne.
Un
homme en cape rouge équipé d’un masque et d’une épée s’avança
:
—
Nous
partageons tous le même but. Beaucoup ont été les frères d’armes
du Kay Kaïnan l’Élu Déchu, et tous ont été les vaillants
défenseurs de l’Empire... Mais l’ordre de l’Empereur de vous
tuer n’a aucun fondement et nous le rejetons. L’intégrité
morale de ce que pour quoi nous avons toujours combattu ne peut
cautionner un tel acte. L’Empereur Egor Milliontis et l’Élu
Déchu Kay Kaïnan sont coupables du massacre de milliards
d’innocents.

— À
qui crois-tu... faire gober ça ? croassa le cadavérique Egor
Milliontis apparu au centre de la caverne. Je vais vous montrer
combien il est indigne de votre sacrifice inutile. Vous vous croyez à
l’abri dans cette cuve saturée de Triaglon ? Je vais écraser
votre misérable confré-rie de traîtres !
L’Empereur
sortit un orbe de cristal de sa robe et se mit à incanter de façon
hystérique. Les ténèbres devinrent si opaques que les filaments
arc-en-ciel de Triaglon errants en étaient masqués. Egor
disparaissait de leur vue.
— Il
faut l’arrêter, cria Oraguur qui bondit en avant.
Des
créatures abyssales les ralentirent. Tous étaient confrontés à
des abominations de plus en plus coriaces et imposantes. La puissance
magique des hommes et leur virtuosité ne suffisaient pas. Le géant
du groupe leva les bras en l’air malgré les assauts continus. Des
membres de
la confrérie se mirent en cercle autour de lui pour le protéger.
Avec l'aide de leurs cristaux d'esprit, ils formèrent une barrière
psychique. Le Triaglon ambiant se raviva et chassa une partie de
l'obscurité qui abritait les sbires informes de l'Empereur. Egor
réapparut en pleine transe, un cercle d'invocation à ses pieds. Il
s'ouvrit le bras et en aspergea le centre d'un sang noir putride
tandis que son cristal dressé dans une main scintillait vivement.
La caverne du palais se mit à trembler. Bien que l'obscurité se
soit atténuée, des monstres amorphes continuaient à les freiner.
Leurs attaques soudaines ciblaient chaque parcelle d'inattention. Les
membres de la confrérie ne savaient plus où donner de la tête. Le
géant et son groupe cédèrent sous le nombre. Ils furent dévorés
vivants, mais le géant tint bon jusqu'au dernier instant. Dans
l'urgence, une quinzaine de bicaïnistes s'alignèrent de façon à
créer un passage pour Oraguur et ses suivants. Oraguur les devança
d'une détente spatio-temporelle alors que ses amis se sacrifiaient
pour couvrir son échappée. Il devait passer le cercle d'invocation
afin d'interrompre Egor Milliontis. Un mur invisible le stoppa net.
L'invocation était terminée. Des colonnes de flammes sortirent du
cercle et d'immenses griffes en agrippèrent les rebords.
«
Voici Kazgoroth, démon conquérant de l'Enfer ! jubila l'Empereur.
Il est un pur produit du Kyo libéré par cet imbécile de Kay.
Inutile de vous en apprendre davantage, je vais vous laisser faire
connaissance. »
Oraguur
s'empara d'un filament de Triaglon brut qui flottait à sa portée.
À son contact, le cristal d'esprit incrusté dans le dos de sa main
fut saturé d'énergie et s'enflamma dans un éclat aveuglant. Il se
concentra pour façonner le filament en une lance de lumière.
L'énergie dégagée zébrait son corps d'éclairs et l'air ambiant
vibrait de pulsations sporadiques. De son autre main, il employa son
second cristal incrusté pour regrouper à distance les autres
filaments épars. Une boule scintillante se forma.
Une
bête cornue à la gueule démesurée émergeait du cercle. Ses
muscles disproportionnés battaient d'une rage sauvage. Son faciès
inspirait une terreur indescriptible. Elle était le point culminant
de ce que pouvait
être l'horreur sauvage incarnée dans un être de chair. Les os
comprimés par cette masse de chair gonflée et tendue à l'extrême
transperçaient la peau en cornes intimidantes.
Oraguur
sauta avec sa lance au-dessus de la boule de feu énergétique. À
son approche, il lévita au ralenti prêt à décocher sa lance
contre la boule, le bras levé dans une dynamique sublime, les
cheveux embrasés de lumière. D'une détente surnaturelle, la lance
fusa sur la boule en la traversant verticalement de part en part en
direction de la bête en contrebas. L'onde de choc mit à mal les
protections des membres de la confrérie et plusieurs furent plaqués
au sol. La matière de la boule s'agglutina à l'arrière de la
lance comme le panache d'une comète. La lance perça des barrières
invisibles au-dessus de la bête et pénétra l'épaule jusqu'au cœur
dans une explosion tonitruante. Oraguur retomba au sol et vit qu'il
ne restait rien entre lui et l'Empereur.
«
Tu croyais m'arrêter avec ce genre de démon ?
-
Avec ce genre oui, ricana Egor. Hélas... je n'avais pas prévu...
que tu détruises mon cercle d'invocation... Maintenant... il va être
incontrôlable... Je serai obligé... de le renvoyer dans ce
cristal... après qu'il vous ait massacrés... Quel dommage.
Il
regarda tristement la sphère de cristal dans ses mains. Oraguur
tenta d'attraper Egor au collet, mais il disparût aussitôt. Sa voix
désincarnée résonna dans la caverne :
«
L'Empereur est insaisissable dans son palais. Tu le sais. Ce démon
est à l'origine des bêtes de cauchemar qui se matérialisent dans
la peur des hommes. Tu ne peux le détruire physiquement. Seul mon
cristal peut le contenir. C'en est fini de toi. Voir Carion ne
t'aurait servi à rien.
-
Pourquoi m'empêcher de le rencontrer alors ?
-
Tu n'as pas à le savoir. Tu ne le sauras jamais. Adieu Oraguur. Tu
m'auras été de bon service. Je te dois la vie. Mon règne sans toi
aurait été de courte durée.
Oraguur
resta silencieux. Les ténèbres revenaient. Quel sens donner à tout
cela ? Les membres de la confrérie se réunirent autour de lui.
Aucune issue n'était possible. L'Empereur pouvait sceller son palais
à volonté. Il y était tout puissant. Cette caverne imprégnée de
Triaglon était leur seul refuge. Ils pouvaient s'en servir pour
organiser un baroud d'honneur. Oraguur avait besoin de temps. Il
devait réfléchir. Egor maintenait
la pression. Il savait qu'il y avait une échappatoire. Il devait y
en avoir un. Le Kay était parvenu à se volatiliser. Il ne sentait
plus sa présence. Comment avait-il fait ? Comment avait-il imprimé
sa prophé-tie sur ces murs antiques ?
L'air
vibra. Quelque chose s'annonçait. Kazgoroth ! Chacun se mit à
psalmodier et préparer d'épaisses couches de protection psychique
en canalisant des filaments de Triaglon. Ayoris suppliait Oraguur du
regard de prendre une décision. Personne n'osait ou ne savait quoi
lui conseiller. « Indigne de votre sacrifice » se répéta
mentalement Oraguur. Non, il allait trouver une solution. Ce stupide
démon n'était qu'un leurre pour le distraire de son but. Il ne
pouvait abandonner ses camarades. Egor le savait.
Ayoris
lui parla télépathiquement :
«
Si tu meurs avec nous, notre sacrifice sera en effet inutile... »
Une
pression terrible s'exerça sur leurs protections, au point d'en
faire sauter plusieurs couches en confettis multicolores. Une
silhouette floue se condensa soudainement devant eux. Le démon
effrayant rugit d'une fureur saisissante. Leurs dernières barrières
s'effondrèrent aussitôt. Il ne leur laisserait plus l'initiative.
D'où lui venait une telle puissance ? Ils redoublèrent d'effort
pour construire un meilleur rempart. L'évidence s'imposa à eux.
Déjà redoutable, ce démon disposait en plus d'un Kyo, une
manifestation élémentaire cosmique dont la puissance n'avait pas
d'équivalent. Ce Kyo semblait manipuler la physique
gravitationnelle de manière à modifier les rapports de force
s'exerçant naturellement. Il pouvait transformer une poussière en
missile mortel.
Oraguur
entrevit la faille. Si le démon usait de son Kyo de façon
disproportionnée, l'énergie échapperait à son hôte et il
devenait envisageable de la canaliser de l'extérieur. Une folie...
Presque un suicide. La nature démoniaque de la bête lui offrait une
marge confortable de tolérance. Il fallait susciter un objectif
impossible. Peut-être qu'une diversion vers les parois
indestructibles de la caverne qui était du même matériau que le
reste du palais...
Oraguur
avança lentement vers le démon écumant. À chaque pas son corps
absorbait des filaments de Triaglon et doublait de taille. Le démon
surpris réagit d'une attaque de ses griffes acérées. Aidé de ses
camarades, Oraguur utilisa toute sa vivacité d'esprit pour modeler
et remodeler
des barrières psy. Kazgoroth fut ralenti, mais la puissance de son
Kyo forçait inexorablement les frêles défenses séparant ses
griffes de l'impudent archibicaïniste. Oraguur atteignait presque la
taille du démon. Il dévia alors les griffes pointées vers lui d'un
vigoureux revers de la main, propulsé par le Triaglon accumulé lors
de son étrange croissance. Déséquilibré, le démon bascula en
avant tandis qu'Oraguur lui délivrait un crochet stratosphérique
dans la mâchoire. Kazgoroth réussit à amortir légèrement
l'impact avec une refocalisation, réflexe de son Kyo, mais il fut
projeté à l'autre bout de la caverne. D'une roulade, il se redressa
et chargea son ennemi qui l'esquiva aisément. Comment était-ce
possible ? Son Kyo devait les clouer sur place. Ils se mirent à
incanter à l'unisson. Le démon concentra de plus belle son Kyo sur
eux, prêt à les broyer sous une pression phénoménale. Leurs
défenses tenaient bon ! Enragé, Kazgoroth déploya toute sa colère
en une salve colossale qui fit trembler la caverne et la planète
entière. Ils étaient encore là ! Ces vermines ! Leur image se
brouilla. Quelque chose clochait, mais son Kyo déchaîné embrumait
son esprit.
Oraguur,
en pleine concentration pour élaborer l'illusion du groupe devant le
démon, vit horrifié l'un des leurs devenu fou éviscérer un
camarade. Son esprit n'avait pas tenu l'effort inouï demandé
jusqu'à maintenant et avait glissé dans une schizophrénie
meurtrière aiguë. Trois autres le tuèrent aussitôt, mais le mal
était fait. L'illusion s'était troublée. Si le démon reprenait
ses esprits, il découvrirait le subterfuge et leur fragile
invisibilité.
Oraguur
avait abandonné son sort de gigantisme qui lui avait permis de
capter son attention. Le démon se calmait et réfléchissait. Il
devait le prendre de court. Ce serait à celui qui agirait en
premier, même si une attaque-surprise n'était pas en sa faveur. Ils
ne survivaient qu'unis et soudés en une seule action groupée. Toute
dispersion était fatale. Oraguur allait briser son serment, se
libérer de sa condition humaine et se noyer dans le flux cosmique.
Avait-il une alternative ? Oraguur devait mourir. Cette identité
était insuffisante face aux monstres qui s'en étaient affranchis
depuis longtemps. Ils étaient donc destinés à s’entre-dévorer
jusqu'au dernier. Sa quête de pouvoir juste et réfléchie était
une utopie voilant la triste réalité d'une impasse qu'il refusait
de voir. Les monocistes devaient en avoir conscience, eux qui
s'harmonisaient à l'univers
sans chercher à contrôler les éléments selon leur volonté. C'en
était fini du héros Oraguur. Soit il mourait avec ses amis, soit il
prenait la place de ce démon et continuait son œuvre de massacre
jusqu'au jour où un autre le supplanterait. Kazgoroth les défiait
de choisir. Il semblait dire « Regardez combien je suis puissant
faibles humains qui vous vous revendiquez être l'élite de votre
espèce. Oserez-vous braver les tourments de la damnation éternelle
pour me soumettre à votre vindicte, ou vous laisserez-vous écraser
comme de vulgaires insectes ? » Ils avaient décidé de se jeter
dans la mêlée, ils devaient en payer le prix. Inutile d'espérer
devenir un ange exterminateur qui ne serait qu'un démon déguisé.
Ils n'avaient plus le loisir de se tenir à l'écart des conflits
d'intérêt comme de sages monocistes. Ils avaient choisi une sphère
guerrière et il fallait l'assumer. Nul artifice ou technologie ne
les éloignerait de cette finalité.
Oraguur
s'élança à l'attaque. Il fit un bref signe signifiant qu'il
initiait un assaut multidimensionnel avec des frappes conjointes. La
coordination demandée requérait des capacités surhumaines qui ne
pouvaient être soutenues qu'une minute ou deux pour les plus
aguerris. Le démon maîtrisait sûrement le saut dimensionnel, mais
le nombre de ses assaillants, dont les positions individuelles
changeraient continuellement, le submergerait.
Kazgoroth
sentit Oraguur approcher et se retourna pour le charger à son tour.
Oraguur et les membres de la confrérie se déphasèrent au moment où
le démon engagea une onde de choc répulsive qui aurait dû tous les
faucher cruellement. Ils se projetaient à une cadence psychédélique
dans l'infinité d'espaces-temps alternatifs. L'un d'eux rencontra
nez à nez le démon qui l'embrocha sur une de ses cornes. Un autre
le croisa au moment où la gueule du monstre se refermait sur lui.
Oraguur réalisa que le démon était très à l'aise dans cet
exercice et se délectait de les intercepter un à un. La première
attaque combinée fut un échec. Kazgoroth les avait précédés en
dégageant une onde répulsive avant qu'ils ne puissent le toucher.
Une dizaine de braves avaient péri sur le coup et les autres
s'étaient esquivés de justesse. La deuxième attaque eut le même
résultat. La troisième pareille.
C'était une hécatombe. La plupart ne tenaient plus le rythme et devenaient des proies faciles. Oraguur devait réagir. Ils devaient encaisser l'onde de choc durant la quatrième attaque. Il débrida ses limites intellectuelles et laissa l'énergie pure l'envahir. Une folie sans retour. Il abandonnait sa conscience à l'étincelle bestiale qui le consumerait à jamais. Sa dernière volonté ferait ployer l'étincelle divine à un ultime outrage destiné à sauver sa misérable existence physique. Il accouchait d'un monstre auquel il s'enchaînait ad vitam æternam pour en détruire un autre. Ses amis sentirent le déclic et se préparèrent à faire l'impossible pour le suivre dans cette voie désespérée.
C'était une hécatombe. La plupart ne tenaient plus le rythme et devenaient des proies faciles. Oraguur devait réagir. Ils devaient encaisser l'onde de choc durant la quatrième attaque. Il débrida ses limites intellectuelles et laissa l'énergie pure l'envahir. Une folie sans retour. Il abandonnait sa conscience à l'étincelle bestiale qui le consumerait à jamais. Sa dernière volonté ferait ployer l'étincelle divine à un ultime outrage destiné à sauver sa misérable existence physique. Il accouchait d'un monstre auquel il s'enchaînait ad vitam æternam pour en détruire un autre. Ses amis sentirent le déclic et se préparèrent à faire l'impossible pour le suivre dans cette voie désespérée.
Oraguur
fut le premier à émerger de sa course dimensionnelle devant
Kazgoroth. Ce dernier pressentit un danger et le bombarda d'une salve
gravitationnelle mortelle. Une inspiration inhumaine suggéra à
Oraguur une barrière spatiodifférentielle que le démon tenta de
contre-carrer d'une force opposée. Oraguur était pris dans une
stase stroboscopique entre attraction et répulsion. Son corps
menaçait d'imploser sous la pression.
Des
cristaux se formèrent aux pieds du démon. Avec l'aide des rescapés
de la confrérie protégés derrière la stase précaire d'Oraguur,
Ayoris lançait un sort pluridimensionnel qui encaissait les ondes
de Kazgoroth. Certains membres s'évanouirent exténués. La
composition improvisée de cette toile cristalline en un mouvement
uni sur différents plans dimensionnels était une prouesse
miraculeuse.
Le
démon efforça d'adapter sa cadence à toutes ses attaques
simultanées. Mais les cristaux s'agglutinaient inexorablement à
son cuir comme une rose refermant ses pétales. Ils cherchaient à se
cristalliser contre lui en absorbant sa force vitale dans une gangue
hermétique. Kazgoroth ne se laisserait pas faire enfermer à nouveau
dans un cristal de contention. Il lâcha son emprise sur Oraguur et
concentra ses efforts à défaire ces mailles encombrantes. Ils
pouvaient le désintégrer une seconde fois, il reviendrait, mais
hors de question d'être emprisonné. Il désintégra rapidement les
couches délicates l'enserrant. Soudain, Oraguur tomba sur lui malgré
les épaisses barrières défensives qui auraient dû le repousser.
L'archibicaïniste le matraqua de poings vengeurs entre les deux
yeux. La brutalité insensée de ses coups brisait sa concentration.
Il sentait les cristaux reprendre leur progression et envahir son
être en profondeur. D'une main, il se saisit de ce moucheron
survitaminé. Mais avant de faire quoi que ce soit l'homme lui fit
exploser la main
d'une décharge inattendue. Comment ce petit corps pouvait-il
emmagasiner autant de Triaglon ? Oraguur lui sauta au cou et le
mordit sauvagement à la carotide. Sa mâchoire changée en gueule
immense et garnie de crocs redoutables réussit à pénétrer jusqu'à
l'os. Les cristaux s'engouffrèrent dans la brèche sanglante. Le
démon se figea aussitôt, statufié, avant de s'effondrer en un
monticule d'amas cristallins. Son âme liée au cristal de l'Empereur
s'en était retournée dans des limbes mystérieux.
Oraguur,
méconnaissable avec sa gueule difforme et sanglante, se tenait
debout tremblant. Son esprit instable et saturé de Triaglon
menaçait de faire définitivement muter son corps en un monstre
imprévisible. Ayoris, très éprouvée, trouva la force de se
relever et de tituber dans sa direction :
«
Non ! Ora, reprends-toi ! Tu as une mission à accomplir. Nous avons
triomphé de l'impossible. Tu dois te ressaisir et continuer ! »
Daryth,
peinant à retrouver son souffle, la retint d'une main ferme :
«
Arrête Ayoris ! Il a choisi de sacrifier sa raison pour triompher. »
Il
dégaina son épée et s'approcha de son ami perdu.
«
Que vas-tu faire ? paniqua Ayoris.
-
Au fond de lui, il m'en supplie. Ses dernières onces de raison le
font attendre le coup de grâce.
-
Et après ? Il est le seul capable de mettre fin à ces horreurs. Il
a le pouvoir d'effacer le souvenir de cette époque abominable.
-
Et comment ? intervint un homme à la barbe impressionnante.
L'Empereur est intouchable, le Kay inaccessible, et nous bloqués
entre ces satanés murs.
Daryth
se mit à rire :
«
Nous pouvons terminer ce qu'il a commencé. Nous allons voir Carion
et bannir l'Empereur. »
Le
barbu en resta bouche bée.
«
Daryth, tu vas m'aider ? demanda Ayoris. »
Une
vapeur noire se dégageait d'Oraguur immobile.
«
Le temps presse, dit Daryth. Le sceau des Tori n'est plus et
l'essence malfaisante qu'il abrite n'a plus d'esprit solide où
s'ancrer. Que veux-tu faire ?
-
Nous allons invoquer tout l'espoir de la galaxie dans ta lame.
-
Pardon ?
-
Nous allons invoquer un Kyo d'espoir qui lui redonnera sa raison et
nous aidera à accomplir notre tâche.
-
C'est insensé !
-
Pas tant que ça. Toute la galaxie est affectée d'un désespoir
commun si grand qu'elle appelle un espoir tout aussi grand. Si
l'espoir du peuple est assez grand pour être sauvé, nous
réussirons.
-
Mais comment canaliser leur foi ?
-
Regarde autour de nous. Ce Triaglon va nous y aider. Nous sommes au
cœur de la planète capitale. C'est le lieu idéal pour capter leur
espoir dirigé vers ce tyrannique empereur insensible à leurs
tourments. Ils le prient d'abréger leurs souffrances. Nous allons
répondre à leur prière et insuffler le vent d'espoir qui est la
doctrine symbolique de notre confrérie des Messagers de l'Aube.
Daryth, tu seras le porteur d'espoir qui transpercera les consciences
égarées.
-
Attendez ! coupa une archibicaïniste occupée à régénérer
péniblement les jambes brisées d'un confrère inanimé. Un
sacrifice sera nécessaire pour canaliser le pôle contraire du
désespoir. Sans cela nos chances d'invoquer un Kyo aussi vague
seront infimes. Nous devons concevoir suffisamment et précisément
cette notion abstraite qui est pourtant au cœur de notre dynamique
existentielle.
— En
effet, soupira Daryth. Les moyens nous manquent pour...
Le
blessé inconscient s'était redressé l'œil fou et décapita son
infirmière qui lui tournait le dos d'un revers de la main. Avant
que les autres ne réagissent, l'ombre d'Oraguur fondit sur lui et
déchiqueta le sorcier fou pour s'en repaître.
«
Établissez un périmètre de sécurité entre nous et les blessés !
ordonna Daryth. D'autres ont sûrement perdu la raison ou ont été
contaminés par le démon. »
Personne
n'osait regarder le célèbre maître de guilde Oraguur dont l'aura
noire ne cessait de croître tandis qu'il se délectait de sa pauvre
victime autrefois son élève.
«
Et dire que cela nous choque à peine, grommela un illustre
moustachu. Nous avons éprouvé tellement d'horreurs... Quand est-ce
que cette surenchère impie prendra-t-elle fin ?
-
Quand nous remplirons notre mission ! s'énerva Ayoris. Je serai le
canal. Commençons l'invocation.
-
Pourquoi toi ? demanda Daryth.
-
Je pourrai dire que j'ai atteint mes seuils de tolérance critique et
que je serai plus utile morte qu'en bombe à retardement, mais ce
serait mentir, car nous sommes tous dans la même situation. Oraguur
s'est sacrifié pour nous et je me sacrifierai pour lui, comme nombre
de nos camarades morts au combat. Plus pour lui que pour des
millions d'âmes anonymes. Je pense que mon espoir de le voir
rétabli est le plus fort parmi nous. Laissez-moi cette ultime
satisfaction.
Silencieusement,
les valides formèrent un cercle autour d'Oraguur, Ayoris et Daryth.
Ayoris s'avança courageusement vers Oraguur qui entamait le corps
décapité de la malheureuse bicaïniste. Il se retourna vers Ayoris
avec sa gueule terrible et des lambeaux de chair qui pendaient. Elle
ne cilla pas. Elle l'envoûtait du regard, elle lui évoquait toute
l'affection retenue qu'ils avaient pu partager. À quelques mètres,
elle s'arrêta et le groupe entonna un chant mélodieux. La litanie
s'envola à travers l'espace et le temps. Toutes les âmes
suppliantes livrées à leurs démons s'incarnèrent en Ayoris. La
gueule d'Oraguur refléta l'innommable qui terrifiait leur monde
autrefois rassurant.
La
lame de Daryth s'enfonça dans le dos d'Ayoris, laissant couler un
mince filet de sang. Un flux inintelligible de sensations étrangères
et unanimes la secoua. La douleur se mua en soulagement. La
souffrance allait cesser. Daryth pénétra la lame plus profondément.
Le flot s'intensifia. La douleur resurgit. L'espoir devait naître
de cette souffrance. Elle devait jaillir comme l'étincelle de vie
surclassant l'arrivée imminente du néant.
Une
chaleur enflamma son cœur alors que le froid l'envahissait. Daryth
la transperça de part en part jusqu'à la garde. Il se mit à courir
en la poussant vers Oraguur figé, et l'empala à son tour contre
elle. Son cri inhumain fit trembler toutes les consciences en
communication. La lame brilla et devint translucide. Daryth la retira
immaculée. Le cri se prolongea jusqu'à redevenir humain et
plaintif. Oraguur avait retrouvé apparence humaine et pleurait le
cadavre d'Ayoris effondré dans ses bras.
Le
rituel avait bouleversé émotionnellement l'ensemble de
l'assistance qui n'arrivait pas à retenir des larmes. Malgré ça,
Daryth, après cette intense communion collective, affichait un
sourire serein. L'espoir avait ressuscité de ses cendres.
«
Maître Oraguur, vous devez partir, annonça Daryth. Nous allons à
la rencontre de Carion au centre du palais, et vous à celle du Kay.
-
Mais comment ?
-
Écoutez l'espoir nouveau qui réchauffe votre cœur.
Oraguur
était encore dévasté du sacrifice d'Ayoris et de la charge
émotionnelle, mais elle lui avait insufflé un soleil radieux et
chaleureux dans la poitrine... aussi lumineux qu'un soleil dans la
nuit, aussi étincelant que la prophétie du Kay dans l'obscurité
de l'amphithéâtre. Non, il ne faisait plus nuit, il faisait jour.
Oraguur arrêta le flot de ses pensées. Il ferma les yeux et laissa
les sensations l'emmener.
Un
vent frais et parfumé fouetta son visage. Lorsqu'Oraguur ouvrit les
yeux, il était dans un champ de fleurs cerné par une mer bleu azur
et des montagnes aux sommets enneigés. Une ruine aux colonnes
élégantes l'attendait à quelques dizaines de mètres.
Le
Kay en sortit pieds nus, vêtu d'une toge légère. Il s'accouda à
une colonne et applaudit :
«
Remercie tes amis. Sans eux, j'ignore combien de temps il t'aurait
fallu pour lâcher prise.
-
Tu n'es pas le Kay Kaïnan. Tu ne l'étais pas même avant ta
destitution.
-
Pas exactement en effet... Mais le principal y est. Tu te demandes
comment tu as atterri là, n'est-ce pas ? Pour résumer, disons que
nos deux volontés se sont accordées à cette fin. Tu sembles plus
ouvert au dialogue.
-
Quels sont tes pouvoirs ?
-
Autrefois, j'avais une vision réductrice de mon Kyo, et maintenant
ma conscience des choses s'est élargie. J'ai accès à la source de
vie circulant dans chaque particule de cette réalité si subjective
dont l'objectivité supposée n'est qu'un leurre grossier. Notre
civilisation avancée en a conscience, mais se cantonne à des
mystifications bicaïnistes stériles. Je partage l'accès à ce
pouvoir avec qui le veut, au hasard des rencontres.
-
Tu l'as transmis volontairement à l'Empereur ?
-
Ouvre les yeux Oraguur ! Cela a accéléré le déclin inéluctable
de l'Empire. Une crise apporte des solutions et des révélations,
alors qu'un enlisement lent et progressif n'appelle qu'un vain
fatalisme. Le peuple doit ouvrir les yeux sur sa responsabilité
existentielle. Regarde-toi, tu en es la parfaite illustration. Au
seuil de la mort, tu as réalisé dans quelle impasse tu t'étais
fourvoyé. Tellement organisé et discipliné que tu perdais de vue
l'objet de ta nature, ta subjectivité ! Tu ne sais plus qui tu es,
car tu étais un autre. Cet autre n'était qu'une façade habilement
structurée d'illusions dans un décor rassurant que vous appelez
Empire et imposez aux autres. Intègre-toi ou disparais ! Cet Empire
se nourrit de la peur que vous lui confiez. Il envahit tout et vous
transforme en pantins serviles. L'Empereur a enlevé le masque de sa
vraie nature de nid à monstres. Es-tu encore prêt à devenir le
monstre qui t'était destiné ? Tes amis t'ont offert une seconde
chance, à toi et à tous ceux qui veulent se libérer de cette peur
aliénante. L'ampleur de tes pouvoirs t'aliénait Oraguur, et tu
étais prêt à t'oublier pour en obtenir davantage. Mais à quoi bon
si tu n'es plus le maître de cette machine folle ? Tu ne veux pas
être ce démon que tu as soumis, tu ne veux plus lutter au nom de la
peur d'être à ton tour écrasé. Tu ne domines rien, tu ne
contrôles rien, tu es victime de ton illusion ! J'étais comme toi
jadis. Maintenant, j'ai tout abandonné et mon pouvoir n'a jamais été
aussi grand. Mon pouvoir pourrait être le tien, celui d'un homme
libre en accord avec les éléments. Ta volonté serait celle du
cosmos, ce cosmos qui vibre en chacun de nous.
-
Tu parles comme un monociste, mais tu n'en es pas un, pas plus qu'un
dieu. Crois-tu que tes milliards de victimes te sont redevables ? Ton
Kyo a été emprisonné sur la planète Enfer pour les mêmes raisons
qui m'amènent ici, un Enfer pavé de bonnes intentions. Ce pouvoir
n'a pas encore sa place dans ce monde. Tu as peur de moi et de
l'espoir que porte chacun d'entre nous. Garde ta malédiction pour
toi, tu n'as pas à décider du choix de notre liberté. De grands
enfants gouvernant des enfants... Est-ce pertinent d'armer des
enfants pour qu'ils s’entre-tuent et réalisent combien la liberté
a du bon ?
Le
Kay sembla chagriné :
«
Tu as en partie raison. D'ailleurs, je pensais t'éviter de faire la
même erreur.
-
Nous devons éprouver nos erreurs. J'ai assumé la mienne jusqu'à la
fin. Prendre une mauvaise direction ne m'a pas arrêté. Je ne
pouvais m'arrêter.
-
Nous sommes arrêtés maintenant. Te penses-tu capable de prendre une
nouvelle direction ?
Oraguur
regarda ses mains. Il sentait le pouvoir affluer en lui. Son esprit
apte à faire plier des montagnes attendait une simple impulsion pour
partir en conquête des éléments. Il était une machine
conditionnée à remplir ses objectifs. Cet esprit ne concevait pas
d'objectif approximatif. Il était désemparé. Son espoir était
inintelligible pour sa raison. Sa raison dictait ses actes et parfois
tendait à se rapprocher de ses espoirs. Il était sourd à lui-même.
Lâcher prise et espérer étaient-ils suffisants ?
«
Et si je te disais que tu ne trouverais pas tes réponses dans cette
vie ? Tu n'es capable que de poser de mauvaises questions, tu es le
fruit d'une maturation arrivée à terme. Tu as grandi amputé d'une
partie de toi-même. Le sceau Tori t'a conditionné à être ce que
tu es. Ce sceau n'est plus. Tu es perdu. Tu aurais plus vite fait de
renaître lavé de cette identité que d'essayer de te transformer laborieusement. Combien d'erreurs cataclysmiques entreprendrais-tu
avec les responsabilités qui sont les tiennes ? »
Oraguur
regardait toujours ses mains. Le Kay lui partageait son Kyo de vie,
mais il le refusait. Il avait peur de ce qu'il pouvait en faire.
L'exemple de l'Empereur le terrifiait.
«
Tu refuses la force créatrice. Tu refuses de créer des
monstruosités avec ton esprit malade. Pourtant, chacun à son
échelle, emploie cette force. Tu l'as développée à un tel niveau
de maîtrise, mais tu as peur d'aller au-delà et qu'elle t'échappe.
Regarde-moi. Des forces comme la mienne n'hésitent pas à se lancer
dans la vie, quitte à bousculer l'harmonie cosmique, bon gré mal
gré. La vie nous pousse à avancer sans comprendre tous les tenants
et aboutissants. Nous manipulons des énergies qui nous dépassent,
mais font aussi partie de nous. Laissons-les s'exprimer. Chantons
leurs louanges et dansons à en perdre le souffle. »
Le
Kay se mit à chanter et danser.
«
C'est aussi simple que ça ! La peur d'un possible échec te
paralyse. Laisse-toi le temps alors. Essaie, échoue, et recommence !
Oublie ce pouvoir qui est tien et mène une vie nouvelle dans une
nouvelle direction.
— Tu
crois que je vais me laisser mourir après tes jolis discours ?
—
Mais
tu es déjà mort ! Tu as eu un avant-goût de ta fin contre
Kazgoroth. Essaie de vivre si tu en as le courage... Montre-moi qui
tu es et nous verrons si j'ai tort.
— Tu
sais que ma mission consiste à t'effacer des mémoires afin de
permettre l'arrêt des horreurs qui exterminent notre peuple.
— Et
tu comptes la remplir au nom de tes camarades défunts ? Encore sous
le poids de tes obligations. Tu cours encore à ta perte. Tu répètes
la même erreur sans chercher à en comprendre la raison. Toujours
aussi borné...
Oraguur
et le Kay se dévisagèrent longuement.
— Tu
me ferais presque peur, Ora... Presque, car on ne peut se mentir
avec le Kyo que je te partage. Tu n'écoutes pas, mais les élans de
ton cœur ont à te parler.
Une
femme tatouée en simple paréo apparut derrière le Kay.
«
Ayoris ! souffla Oraguur. »
Elle
courut vers lui. Son cœur bondissait de joie, mais il ne pouvait y
croire. Le Kay lui faisait une sinistre farce. Oraguur invoqua un
bouclier de force entre elle et lui. Elle le heurta de plein fouet
et tomba à la renverse. Elle le suppliait de la laisser approcher.
Il n'écoutait pas.
«
Elle est morte Kay ! s'emporta Oraguur.
-
Pas pour ton cœur. C'est toi qui l'as invoqué. Tu pourrais vraiment
la ressusciter si tu le désirais.
-
Ce n'est qu'une illusion fabriquée de toute pièce !
-
Si tu y croyais sincèrement, ce ne serait plus le cas.
Oraguur
regarda intensément Ayoris. Plus il l'observait, plus ses
expressions devenaient authentiques. Sa barrière faiblit et Ayoris
fut en un instant dans ses bras. Son cœur explosait de bonheur. Son
parfum et ses baisers étaient bien les siens.
Mais
qu'était-il en train de faire ? Il sombrait dans un délire puéril.
Il se sentit en danger. La pseudo Ayoris l'agrippa fermement tandis
que ces traits se changèrent en ceux d'une créature hideuse. D'une
impulsion triaglonique,
il la projeta loin de lui, mais tout ce qu'il vit était une femme
blessée à terre. Non ! Ce n'était pas possible. La vision de la
créature se substitua à Ayoris brièvement.
Le
Kay souffla :
«
Au lieu de la sauver, tu la transformes en monstre avec tes doutes. »
Oraguur
était tiraillé entre son devoir et l'abandon à un espoir fou. Ses
doutes se manifestaient par l'alternance des formes d'Ayoris pendant
qu'elle disparaissait petit à petit.
«
Ce Kyo peut être un don ou une malédiction selon ce que tu en fais,
dit le Kay atone. Écouter ton cœur est ton seul salut. Tu as besoin
d'être sincère avec toi-même Ora. Hélas, je sais que cela t'est
impossible. Tu as décidé que c'était impossible, alors ça le
sera et restera, tant que tu seras Oraguur le grand archibicaïniste
maître de la Guilde Triaglonique et She Valieh Tori, grand sauveur
de la veuve et de l'orphelin. »
Le
Kay avait raison. Il voulait sauver la galaxie, mais il ne sauvait ni
les êtres chers ni lui lui-même. Seule subsisterait la mémoire du
grand Oraguur qui n'aura jamais failli à son devoir.
«
Tu fais bien de penser ça, car j'ai une faveur à te demander, dit
le Kay qui captait ses pensées.
-
Et en quel honneur ?
-
Celui de te laisser remplir ta mission.
-
Tu bluffes ?!
-
Peut-être. Et si c'était le cas, que ferais-tu ? Ta présence ou
ton absence en ces lieux ne requiert que mon bon vouloir. Dès le
départ, j'avais décidé de te laisser faire. Mais avant il fallait
que tu prennes conscience de certaines choses.
-
Et quelle est cette faveur ?
-
Au moment d'effacer toute empreinte de mon existence dans les
mémoires, je veux que tu fasses de même pour toi.
-
Pourquoi ?
-
Cela me regarde. Acceptes-tu ?
-
Tu sembles bien sûr de toi Kay Kaïnan. L'Empereur s'est damné avec
un seul crime, comment fais-tu avec les tiens ?
-
C'est simple. Je ne m'en sépare jamais.
Le
décor bucolique disparut dans un ciel noir et orageux. À la place
du champ de fleurs se trouvaient des os à perte de vue, les
montagnes étaient composées de chairs difformes et vociférantes,
la mer était faite de couches de sang plus ou moins coagulé dans
lesquelles gémissaient des êtres en lambeaux. Tous tendaient à se
saisir du Kay étouffé dans un amalgame immonde dont les racines se
perdaient aux quatre coins de cet enfer. La vision disparut et le Kay
sourit :
«
Je vais me recueillir quelques millénaires sur cette planète. Je ne
peux décharger mon Kyo à personne. Même pas toi Ora. Peut-être
arriverai-je à recomposer cet enfer comme cette côte vierge et
paisible. »
Oraguur
s'approcha du Kay et posa ses mains sur sa tête. Le rituel de
l'oubli était amorcé. Un ouragan psychomagique se leva et balaya
toutes les mémoires dans un fracas apocalyptique.
Avant
de perdre la sienne, un dernier souvenir d'Ayoris s'imposa. Il
souhaita un instant ne faire qu'un avec elle dans une ultime
sensation éphémère. Oui, il pouvait faire ce miracle en s'oubliant
dans un acte vraiment magique. Quelque chose mourrait et une autre
naissait. Il n'avait plus besoin de savoir pour comprendre. Son cœur
battait. Son rêve vivait !
La peinture de couverture est de Monsieur Louis Frégier, et date de 1968. Cette œuvre se nomme "La grande rose". Elle correspond étonnamment à la scène finale du roman dans la capitale Sanctis, avec ses cavernes et son palais. Je l'ai trouvée directement lors de ma première recherche de couverture. Monsieur Frégier habitait non loin et notre rencontre fut riche en émotion. Un homme épris d'histoire, de mythologie, d'ésotérisme, de chevalerie, de science-fiction, de grand talent, à l'atelier abondant d’œuvres remarquables. Une rencontre providentielle. Il m'a gracieusement proposé l'illustration de mon roman avec son tableau. Voici la page de la collection qui m'a frappé : http://juraspeleo.ffspeleo.fr/divers/peintres/fregier/
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La peinture de couverture est de Monsieur Louis Frégier, et date de 1968. Cette œuvre se nomme "La grande rose". Elle correspond étonnamment à la scène finale du roman dans la capitale Sanctis, avec ses cavernes et son palais. Je l'ai trouvée directement lors de ma première recherche de couverture. Monsieur Frégier habitait non loin et notre rencontre fut riche en émotion. Un homme épris d'histoire, de mythologie, d'ésotérisme, de chevalerie, de science-fiction, de grand talent, à l'atelier abondant d’œuvres remarquables. Une rencontre providentielle. Il m'a gracieusement proposé l'illustration de mon roman avec son tableau. Voici la page de la collection qui m'a frappé : http://juraspeleo.ffspeleo.fr/divers/peintres/fregier/
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