Un homme est debout, dans une pièce
sombre, arme à la main, face à un autre homme allongé au sol.
- Tu sais ce qui va se passer. Un
dernier mot ? Non ? Tu voulais parler pourtant. Je suis là
maintenant, je t'écoute. Je suis désolé de ce qu'a pu faire mon
collègue. Je le connais à peine. Il n'est pas très malin. On
choisit pas sa famille comme on dit. Certes, techniquement il n'est
pas de ma famille. C'est une façon de parler. Mais par la force des
choses, on fait partie toi et moi de deux familles différentes, et
lui il fait partie de la mienne. Alors je m'excuse. Au nom de qui ?
De moi, de lui, des deux ? C'est compliqué. Je ne vais pas parler en
son nom. Je ne le connais pas. Tu veux savoir pourquoi j'ai un
flingue ? Il me l'a donné... pour que je te tue. Si je refuse, c'est
lui qui me tue.
Quel choix ai-je ? Ta famille ne m'acceptera jamais,
après ce qui s'est passé. Mon seul choix c'est lui. On n'y peut
rien, ni toi ni moi. On savait que ça finirait mal. D'autres ont
écrit l'histoire pour nous, en nous dressant les uns contre les
autres. Diviser pour mieux régner. Au final, on s'entre-tue et eux
gagnent. Une guerre des clans. Clan, c'est plus clair que famille. Un
clan ou un camp. Mais là on ne choisit pas son camp, il est choisi à
la naissance. Tu aurais sans doute voulu qu'on se rencontre plus tôt
pour se parler comme ça. Moi aussi, mais c'est trop tard. Qu'est-ce
que ça aurait changé de toute façon ? On serait devenus amis, et
après ? Toujours cette histoire de famille. Ami ou pas, c'est le
sang qui reste. Les miens préfèrent se taire. Certains affûtent
leur haine. Une haine mêlée d'envie. Rien de beau ni de glorieux.
On pourrait essayer de comprendre. A quoi bon ? Tu vois, on discute,
et après ? Ca reste entre nous, entre ces quatre murs, gris et
sombres. Personne ne nous entend. Ca me ferait tout de même plaisir
que tu me répondes. J'ai entendu ce que tu as dit tout à l'heure,
sur l'amour, la fraternité. Ca m'a touché. J'ai envie d'y croire.
Ca les a fait rire, mais pas moi. Je m'excuse de ne pas avoir
répondu, mais je ne suis plus qu'un soldat dans une guerre qui me
dépasse. Courage et naïveté face à l'horreur. On la subira tous.
Toi le premier. On nous fait croire des sottises, à toi comme à
moi. Nos vies sont livrées au champ de bataille. Plus rien d'autre
ne compte que tuer son ennemi. Tu vois, je suis armé. Pas toi, mais
on est ennemi. Tu es une des premières victimes de la guerre.
Maintenant que tu sais où on va... si je te donne cette arme, que
feras-tu ? Que choisiras-tu de faire ?
L'homme pose son arme au sol.
- Ah, c'est vrai. Tu n'as plus le
choix. Tu es déjà mort. C'est dommage. Il n'y a plus de place pour
l'amour et l'intelligence. On sait ce qui va se passer. A la vie, à
la mort. C'est l'escalade des représailles, de la vengeance, de la
haine. Quand le sang aura cessé de couler, il ne faudra pas oublier
de pendre les responsables. Oui, ils existent et ils méritent
davantage de mourir que toi ou moi. On ne saura jamais si on pouvait
vraiment vivre ensemble, si on pouvait atténuer nos clivages, si on
pouvait laisser tomber nos prétextes à la haine, si la justice et
l'équité avaient encore du sens. Notre chance est morte, tu es
mort. Il ne reste que ma voix dans le silence, que la colère et la
peur dans ma chair. Mais je respire encore. Quoi qu'il se passe dans
le futur, je n'oublierai pas. Mes mains ne sont pas souillées de ton
sang, mais ta mémoire hante désormais mes actes à venir. Des échos
malveillants se propagent dans nos coeurs et nos esprits, au rythme
des vies sacrifiées sur l'autel des fous. Est-il raisonnable de les
ignorer contre vents et marées ? Tu as senti cette folie dans ta
chair, et seule la mort y a mis un terme. Rien n'y a fait. Aucun de
tes discours, aucune de tes croyances, aucune de tes suppliques. Il
n'y a qu'une seule manière pour que cela ne se reproduise plus. Tu
as fait ton choix, ta famille fera le sien en votre nom à tous,
comme la mienne l'a fait pour moi. Nous sommes en guerre, et nous en
faisons tous partie, bien malgré nous.
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