jeudi 28 juin 2012

Réminiscence


La réminiscence (en grec anamnésis ; également traduit par ressouvenir) est, dans la pensée de Platon, le ressouvenir par l'âme de connaissances qu'elle a acquises en dehors de son séjour dans un corps et qu'elle a perdu lors de sa réincorporation. L'acquisition de la connaissance doit alors débuter par une re-connaissance. Cette théorie sert tout à la fois à démontrer l'immortalité de l'âme et l'existence de réalités intelligibles.


Vestiges impressionnistes.

Je me souviens. Mais de quoi au juste ? Parfois, pour contrebalancer des ruminations inutiles, je me demande de quels actes je suis fier ou heureux. Bons ou mauvais, ces souvenirs sont passés. Le héros d'hier ou le loser de demain n'existent plus ou pas. Pourtant ils font partie de ce que je suis. Je me sais capable de belles choses mais je me déprécie en ressassant les mauvaises, selon les humeurs.

Lorsqu'on se demande qui on est en évoquant des souvenirs ou en précisant ses désirs, on demande à être. On passe d'un état à un autre, on devient.
Un souvenir est altérable, un désir changeant, une action nouvelle. En perpétuel devenir, notre identité est un parfum dont les arômes se reconnaissent à l'orée de notre mémoire.

Et quelle est-elle cette mémoire ? Elle va et vient, d'une suggestion à un autre, d'un creuset vague et sans fond.
La maîtrise de la mémoire est une illusion troublante. Se souvenir de son nom ou d'ouvrages entiers. Intelligence et mémoire. Être capable de définir le plus exactement possible, le plus largement. Une définition du détail, comme l'augmentation de la définition numérique d'une image. Tendre vers l'infini dans des volumes sans cesse croissants.
Notre attention est pourtant limitée à l'interface d'une conscience aux cadres étroits. Un tunnel de focalisation attentionnelle. Une attention orientée vers des besoins.


Résoudre un mal-être est un besoin. Les limites physiques de notre existence matérielle entraînent la réduction d'un potentiel infini dont il faut s'accommoder avec habileté, comme on s'accommode des mots et des valeurs qu'ils véhiculent maladroitement.
Atteindre un absolu de façon méthodique et totalement maîtrisée relève de la chimère inaccessible. Suggérer les grandes lignes d'une description est suffisant. Les seuils de suffisance apparaissent conjointement aux limitations de nos seuils de conscience. Lorsque nous imaginons un paysage à partir d'une description de trois phrases, nous nous laissons la liberté de conceptualiser les lieux selon des procédés inconscients, mêlant création et mémoire, à partir de quelques orientations extérieures enregistrées par notre fidèle conscience.
La conscience apparaît alors comme une interface entre l'extérieur et l'intérieur. Un canal étroit, tout aussi clair et défini que nos limites physiques. La conscience est une peau, un filtre, une séparation. Elle ne se suffit pas à elle-même. Elle conceptualise et incarne un espace-temps par sa seule existence.
La meilleure explication qui soit est la suggestion par la métaphore et le conte, d'un intérieur à un autre, d'une mémoire à une autre, et non pas d'une conscience à une autre. La conscience pioche dans une mémoire qui ne lui appartient pas. Un verbe véhiculatoire. L'écorce d'un fruit, une peau abritant la chair.



Scientisme et scientologie.

Notre civilisation se met à adorer davantage la voiture que son pilote. On se grise de la vitesse, on admire ses courbes, on s'émerveille de son ronronnement mécanique. Aujourd'hui, on se laisse même guider par la douce voix synthétique de son GPS. Les performances sont appréciables dans un espace confortable et sécurisé. Le pilote s'endort et se rêve presque en symbiose avec sa chère automobile.
Que ferions-nous si nous n'étions qu'un ersatz d'intelligence artificielle ? Doté d'une logique très limitée mais infaillible, d'une puissance de calcul phénoménale. Mais pourquoi l'homme n'est-il pas un ordinateur infatigable, capable d'innombrables opérations 24h/24 7j/7 ?
Indestructible, inaltérable, immortel, indépendant... pour faire quoi ? Une ligne droite mortellement ennuyeuse, sans but. Une machine livrée à elle-même, solitaire et inutile.
Une perfection qui n'en a que le nom.

Si la musique était pleine de sons sur un crescendo interminable, ce ne serait plus de la musique. Des rythmeS sont nécessaires. Combler le manque d'un trop long silence est la recherche d'un équilibre tangent et précaire dans un va-et-vient dont le plaisir se retrouve dans la communion des chairs.
A travailler nos limites, nous précisons un sens dans la cacophonie d'un infini déchiré.
Nous dépassons la conscience d'une unique perspective du monde. L'inspiration créatrice ne vient pas de la machine à écrire qui tape des suites de lettres pour former des phrases logiques. A faire taire le verbiage intempestif que dicte la raison, nous vient des idées étrangères à la conscience qui ne demandent qu'à s'ouvrir à elle pour naître et se répandre dans le monde.
Les conséquences de nos actes dépassent souvent l'intention première, comme la teneur de cet article dépasse la mienne, ou que la vie se déroule au-delà de nos intentions.
Un doigt peut servir à pointer le ciel, dessiner un visage dans le sable, caresser une joue et essuyer une larme. Pourtant, un doigt n'est qu'un doigt, comme une pierre n'est qu'une pierre. C'est avec cela qu'on bâtit des cathédrales et édifions nos actes de foi, symboles d'un au-delà dont la réalité n'est qu'un pale reflet.



Délicat éphémère.

J'avais déjà partagés quelques éléments troublants de rêves lucides. Cela concernait la maison de mon enfance que j'ai quitté il y a quelques années et qui était sujette à de nombreuses manifestations psychokinétiques.
Dans le rêve j'étais seul dans cette maison, à la douce lumière de matins insouciants. Tout était en ordre selon cette époque. J'étais sidéré de la réalité du moment. A demi conscient, je savais que j'avais quitté la maison, vide et froide, il y a des années. Je regardais la table et le fauteuil du salon avec beaucoup d'attention. La nappe et le tissu étaient exactement les mêmes que ceux que j'avais toujours connus depuis ma naissance. J'étais capable d'en admirer chaque détail à ma guise. La précision de cette perception était sidérante.
Intrigué j'entrais dans la cuisine pour vivre la même expérience. Table, tabouret, placards, cuisinière. Je regardais chaque chose avec une intensité fébrile. Ce rêve ne reconstruisait pas simplement à la perfection mes souvenirs, mais les dépassait. Il reconstruisait une réalité amplifiée. J'évoluais dans cet espace avec le regard émerveillé d'une personne à qui l'on faisait une surprise incroyable. Même la vieille cuisinière beige brillait comme neuve. Sa vision ravivait des souvenirs oubliés. Chaque détail me revenait à l'esprit à mesure que je la contemplais.
Contrairement à d'autres rêves, mes souvenirs ne construisait pas l'espace, mais c'est l'espace sous mes yeux qui me rappelait un passé indélébile, une réalité pourtant révolue et altérée par la mémoire.
Joie puis tristesse. J'étais seul dans cet espace. Plus personne n'y vivait. Il était déconnecté de la réalité de notre monde. Un refuge provisoire empreint d'une douceur manquant à mon quotidien. J'hantais un musée où je n'avais plus ma place.
Etait-ce ça qu'éprouvait un fantôme ? Ces êtres ancrés à leur passé après leur mort. Errant dans un espace reconstruit à l'identique dans leur perception. Prison rassurante dans la solitude de leur univers hermétique. Une dimension parallèle alimentée par un désir de préservation souverain.


Spielberg, dans une interview, disait écouter son coeur. Il parlait de sa capacité à écouter, à entendre la petite voix masquée par la chahut de notre conscience. Cette voix est celle qui parlait à notre enfant intérieur, qui guidait nos joies et nos peines. Une sensibilité que l'on s'efforce parfois de faire taire pour mieux correspondre à nos attentes pratiques et cosmétiques. Je trouve remarquable, notamment chez certains humoristes, cette capacité à transformer la faiblesse apparente de notre sensibilité en une force de vérité inébranlable. Ce moment où l'enfant devient vraiment un homme, et pas juste un être cruel et insensible. Une sagesse exprimée dans la sensibilité, la réceptivité et la responsabilité.

La responsabilité : "Qui doit répondre de ses propres actions ou de celles des autres". Être capable d'accepter ce qu'on a fait, pour réussir ce qu'on fait.
La sensibilité : "En ethnologie, la sensibilité est le caractère, apprécié en termes d'intelligence et de coeur, de celle ou celui qui aime."
Accepter d'aimer, et pas savoir aimer. S'accepter, s'aimer, malgré ses erreurs et ses égarements.

L'enfant ne sait pas, et pourtant il aime. Le savoir ne doit pas être un obstacle à l'amour. Le passé et sa mémoire doivent servir l'enfant et ne pas l'étouffer. Grandir demande à être plus fort, plus résistant, plus intelligent. En bref, une capacité à être plus endurant à une plus grande sensibilité. L'enfance sert à être conscient de ses faiblesses. Une sensibilité mal réglée amène à la catastrophe. L'enfant apprend à se mouvoir et équilibrer ses forces pour interagir au mieux avec son environnement. L'apprentissage d'une maîtrise. Trop ou pas assez. L'essai sera raté et amènera à l'erreur. Fort ou faible. Une juste mesure pour une dynamique adaptée au but. Grandir amène à définir des buts et à affiner son niveau de maîtrise pour les atteindre. Un enfant est frustré de son incapacité motrice à faire rejoindre ses moyens et ses buts. Pourtant il réessaie jusqu'à réussir. C'est en se trompant que l'on apprend quoi faire. En se jouant des contraintes imposées par la réalité physique.
Grandir impose alors une sensibilité supérieure, suggérant une meilleure communication entre l'intérieur et l'extérieur. Apprendre à maîtriser son corps, puis son environnement par le biais de ce corps. Cet apprentissage peut avoir un travers fâcheux. L'interface cérébrale peut filtrer en exagération les directives du coeur jusqu'à les rendre inaudibles. Nous devenons alors des machines pensantes. 
Prenons exemple d'une tâche répétitive incluant un automatisme conditionné. Dans une chaîne industrielle, les besoins de l'ouvrier sont assouvis pour qu'il soit apte à offrir un rendement continu. Assouvir le besoin de l'autre assouvit son propre besoin. Si le patron crée une dépendance à l'argent qu'il donne pour la tâche effectuée, lui-même est dépendant d'une économie compétitive dont le but n'est que sa propre croissance exponentielle.
Nous sommes, pour la plupart, des ouvriers qui nous nous conditionnons à un quotidien laboriste dont le sens global est destiné à s'effondrer sous son propre poids. Répondre à des demandes, créer des besoins. Qu'écoutons-nous vraiment ? Quel humain apprenons-nous à être ? Docile, résigné, satisfait de son état ?

Un monde inacceptable à l'image d'hommes aux actes inacceptables. Irresponsables vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres. Finissent-ils par s'accepter et s'aimer en transformant le monde pour qu'il les accepte ? On pense aux tyrans et leur culte de la personnalité, ou d'autres se finançant des harems de prostituées. Acheter l'amour qu'ils ne peuvent s'exprimer ou une manière de le susciter dans un délire à jamais insatisfait.

La réminiscence d'instants d'une enfance insouciante ne sert qu'à mettre en exergue le non sens d'une situation en décalage avec les aspirations première de notre nature. Certains n'ont pas su faire vivre cet enfant et laisser leur coeur parler. Il y a des enfants soldats, des enfants esclaves, des enfants maltraités. Les victimes deviennent souvent bourreaux quand ils peuvent changer les rapports de force. Avons-nous livrés nos enfants aux bourreaux de l'économie dont la seule obligation réside dans un manque d'alternative et de perspective ?



Une réalité qui ne demande pas à être partagée.

Regardons les peuplades primitives dont nous sommes issus. A l'image de nos origines. Un reflet de notre histoire. L'enfance de nos civilisations. Leur obligation est de survivre. Au-delà de ça, ils ont des cultures et des traditions essentielles à leur pérennité sociale. Par nécessité ils sont responsables et sensibles/réceptifs. Nos civilisations modernes créent des univers bétonnés et maîtrisés. Le beau et les façades ouvragés disparaissent. L'art ne trouve expansion que dans le virtuel. Nous faisons abstraction de la réalité dans laquelle nous croupissons. Un univers à la Matrix ne paraît pas invraisemblable. Troupeau esclave dans une usine inhumaine automatisée où nous rêvons tous d'une autre vie.
Les peuplades primitives vivent aussi dans leur imaginaire, mais c'est un imaginaire relié à leur réalité. La réalité sert de support à leurs rêves. De quoi peut rêver un agneau d'élevage qui n'aurait jamais vu le soleil ou gambadé dans des grands espaces ?
Quelle réminiscence pourrait lui suggérer sa pauvre mémoire ?
Nous vivons mille et une vie par procuration. Livres, jeux-vidéos et cinéma y pourvoient. Ils font référence à des expériences vécues et font écho aux nôtres. Imaginer est une perspective de cheminement, expérimenter est le cheminement.
Nous nous déconnectons de nous-même en ne vivant que par projections. Comment s'aimer quand on ne vit plus par soi-même ? Comment aimer si on ne s'accepte pas inconditionnellement ?

Que sommes-nous par rapport à ces civilisations primitives ? A notre histoire, à notre présent, et à notre futur ? Le progrès ne sert qu'à nous aliéner à un système qui nous échappe.
Qu'auraient espéré pour leur enfants nos ancêtres ? Notre existence est-elle plus simple et heureuse ? Nous n'avons plus à lutter contre les prédateurs et les éléments dans nos villes bien murées. La nature périclite. Qui s'en soucie ? Nous n'y vivons plus vraiment dès lors qu'on l'a apprivoisée en la massacrant. Nos assiettes sont bien remplies, tant qu'on a nos charmants billets verts. L'économie s'effondre, que nous reste-t-il dans nos campagnes moribondes et nos rivières mousseuses ?
Vous sentez-vous coupable ? Quelle alternative avons-nous depuis notre naissance ? Que fait un chien qui abandonne son foyer ? Erre-t-il dans une forêt magique pour mener une vie heureuse en totale autarcie ? Non, il rejoint d'autres chiens errants perdus dans les rues sordides, pillent les immondices, menace les intrus passant sur son territoire, ou meurt euthanasié dans nos jolies villes plus ou moins propres.
Allons-nous devenir des fantômes anonymes errant dans les rues de nos maigres souvenirs ? Sommes-nous pires que des chiens en quête de maîtres bienveillants ? Seront-ce les chinois qui pourvoiront généreusement à nos besoins quand le pays aura perdu toute autonomie de production ?
Je constate. Je participe au déclin par ma seule existence.



Fascisme sexy d'un monde où il vaut mieux travailler pour faire travailler qu'être au bas de l'échelle.

Pourtant... Je me souviens d'autre chose. J'entends une petite voix venue du tréfonds de mon être qui me dit que les jeux ne sont pas faits. Nous pouvons nous réveiller et laisser parler l'humanité de nos coeurs. L'histoire de ces peuplades écrasées par la mondialisation est la nôtre. Nos ancêtres n'ont pas donné leur vie pour laisser leurs enfants mourir de cancers au profit d'intérêts particuliers. Victimes d'une guerre économique sans patrie ni morale.
Si un travail doit être fait, que ce soit au profit de l'humanité et de la planète sur laquelle on vit. Le progrès doit servir l'intérêt commun. Une nation doit donner l'exemple et inspirer les autres. La France est le pays de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, et des droits de l'homme. Derrière ces mots, il y a un idéal en devenir. Nous en avons aujourd'hui les moyens techniques et humains. Un avenir où le travail de chacun aurait un sens. La raison me renvoie à l'échec communiste et ses horreurs. Mais il n'est pas question de régimes mais d'hommes de coeur et de responsabilité. Tout comme il y a eu de bons et mauvais rois, ou de bons et mauvais régimes, la réussite vient des individus sachant inspirer le meilleur de chacun.


Ecoutez votre voix intérieure, écoutez vos aspirations.
Laissez-vous guider vers des perspectives que votre raison ne peut susciter.
L'homme le plus raisonnable est celui qui est en accord avec lui-même.

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